Quand Isabelle Larpent-Chadeyron écrit
lundi 29 août 2016
À l’occasion de la sortie de son roman Comment te dire adieu ?, Isabelle Larpent-Chadeyron a accepté de répondre à nos questions.
Quelles sont vos sources d’inspiration concernant Comment te dire adieu ?
Les mots naissent d’eux-mêmes. On ne sait jamais vraiment d’où ils viennent ni jusqu’où ils vous mèneront. En commençant à écrire, je ne savais donc pas jusqu’où me mènerait ce texte, comme je n’en connais pas encore aujourd’hui les sources réelles d’inspiration. Mon livre s’est tissé de lui-même, il a pris vie sous mes doigts sans que j’en sois l’ordonnatrice consciente. Bien sûr, il y a des thèmes récurrents : la maladie, la mort, la souffrance, la parabole de l’enfant prodigue, les relations entre les différents membres d’une famille, mais vous dire explicitement comment ils sont nés et de quelle façon ils se sont imbriqués m’est impossible. On est pétri de ses expériences, du regard que l’on lance au monde et des rencontres qui nous construisent. Tout ceci est un matériau en puissance qui, un jour, donne naissance à un livre. Pourquoi à ce moment et pas à un autre ? Je ne saurais l’expliquer.
On est frappé par la poésie de vos images, le soin avec lequel vous choisissez vos mots. Comment procédez-vous ?
J’ai lu beaucoup de poètes, et notamment Aragon, Lorand Gaspar, Fernando Pessoa, Bernard Noël, sans oublier Robert Sabatier, dont les poèmes m’ont beaucoup influencée. J’ai été modelée par leurs mots, l’art avec lequel ils les ont réunis. J’écris régulièrement de la poésie, je cherche le terme qui traduira ma pensée ; je laisse parfois les mots s’agencer entre eux, jouer, grandir. J’essaie de me pétrir de leur définition, d’assembler des synonymes, de les juxtaposer pour enrichir leur sens, les rehausser. Et puis je garde toujours, dans un coin de ma mémoire, ces vers de Robert Sabatier, qui ont bercé mes premiers écrits, et qui expriment la puissance des mots :
Je gravissais l’escalier de pierre
de livre en livre et je te rejoignais,
toi le plus pur, l’orfèvre de tes mots
sur ce sommet qui dominait le monde.
De manière générale, quel est votre rapport à l’écriture ?
J’écris le matin, très tôt, quand le jour n’est pas encore levé. J’ai besoin des mots, de leur texture, de leur présence. Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai lu un recueil de poèmes de poètes québécois. Je me souviens de l’un d’eux, Pierre Chatillon, qui déclarait ceci :
Je tends des pièges sur la neige
pour capturer des mots
des mots chauds à fourrure
bêtes rousses et rares venues du soleil
égarées sur mes terres de mort
des mots chauds aux longs poils de rayons
je caresse frileux la peau des mots
je me revêts de leur pelage
et me dresse debout
sauvage et dur
parmi les poudreries du temps
mon œuvre autour de moi comme un manteau
un chaud manteau en peaux de mots.
Ces lignes ont traversé le temps, mon temps. Ces lignes m’ont accompagnée. À leur image, je me suis vêtue des mots ; ils m’ont réchauffée, rassurée. Ils m’habillent toujours. Sans eux, comment entamer réellement une nouvelle journée ?
Vous avez écrit plusieurs ouvrages, lequel a votre préférence et pourquoi ?
Aucun n’a véritablement ma préférence, car je me suis investie dans chacun d’entre eux. Chaque sortie de livre est un accouchement, une naissance. Comment départager des textes qui sont, par leur forme et par leur fond, viscéralement différents ? Je laisse au lecteur le soin d’établir sa préférence, car un auteur n’a pas assez d’impartialité, je pense, pour juger de ses publications. Affirmer que je préfère l’une à l’autre reviendrait à trancher, tailler dans le vif des pages, des lignes qui m’ont énormément apporté au moment où je les traçais. Et je ne peux m’y résoudre…
Votre lieu préféré ?
Devant mon ordinateur, pour écrire. Au soleil, en été, un livre entre les mains. Sur le canapé, en hiver, toujours un livre entre les mains. Avec ma famille, en vacances, dans ces pays que nous parcourons depuis plusieurs années.
À la terrasse d’un café…
Pour finir, parlez-nous de vos projets...
Mes projets ? Toujours plein la tête. Plein de mots, de phrases qui se greffent les unes sur les autres, et qui ont besoin de voir le jour. Un livre que je viens de terminer d’écrire, notamment, inspiré par la lecture du magistral ouvrage de Tolstoï… Une Anna Karénine revisitée, remodelée. Une Anna Karénine qui avance, malgré l’absence de l’être aimé et dont on perçoit, à demi-mot, une volonté nouvelle, située entre fierté, audace et dignité. Une Anna Karénine tout en pudeur, mais qui abreuve pourtant l’intime de paroles trop longtemps retenues. Un ouvrage illustré de cent photographies qui, entre jeux de lumière et pas qui se dérobent, cherche à s’approprier l’instant qui fuit. Des clichés qui nous entraînent vers une vision confuse d’un amour dont les contours sont délibérément voilés… Et puis d’autres projets, évidemment, qui verront ou non le jour, mais qui occupent mes pensées, car, comme l’a écrit Robert Sabatier : « je suis né[e] dans chacun de mes mots. »
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